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Charles Baudelaire, L’Invitation au voyage

26.11.2018

Aus: Le Spleen de Paris (Petits Poèmes en Prose)

Il est un pays superbe, un pays de Cocagne, dit-on, que je rêve de visiter avec une vieille amie. Pays singulier, noyé dans les brumes de notre Nord, et qu’on pourrait appeler l’Orient de l’Occident, la Chine de l’Europe, tant la chaude et capricieuse fantaisie s’y est donné carrière, tant elle l’a patiemment et opiniâtrement illustré de ses savantes et délicates végétations.

Un vrai pays de Cocagne, où tout est beau, riche, tranquille, honnête ; où le luxe a plaisir à se mirer dans l’ordre ; où la vie est grasse et douce à respirer ; d’où le désordre, la turbulence et l’imprévu sont exclus ; où le bonheur est marié au silence ; où la cuisine elle-même est poétique, grasse et excitante à la fois ; où tout vous ressemble, mon cher ange.

Tu connais cette maladie fiévreuse qui s’empare de nous dans les froides misères, cette nostalgie du pays qu’on ignore, cette angoisse de la curiosité ? Il est une contrée qui te ressemble, où tout est beau, riche, tranquille et honnête, où la fantaisie a bâti et décoré une Chine occidentale, où la vie est douce à respirer, où le bonheur est marié au silence. C’est là qu’il faut aller vivre, c’est là qu’il faut aller mourir !

Oui, c’est là qu’il faut aller respirer, rêver et allonger les heures par l’infini des sensations. Un musicien a écrit l’Invitation à la valse ; quel est celui qui composera l’Invitation au voyage, qu’on puisse offrir à la femme aimée, à la sœur d’élection ?

Oui, c’est dans cette atmosphère qu’il ferait bon vivre, — là-bas, où les heures plus lentes contiennent plus de pensées, où les horloges sonnent le bonheur avec une plus profonde et plus significative solennité.

Sur des panneaux luisants, ou sur des cuirs dorés et d’une richesse sombre, vivent discrètement des peintures béates, calmes et profondes, comme les âmes des artistes qui les créèrent. Les soleils couchants, qui colorent si richement la salle à manger ou le salon, sont tamisés par de belles étoffes ou par ces hautes fenêtres ouvragées que le plomb divise en nombreux compartiments. Les meubles sont vastes, curieux, bizarres, armés de serrures et de secrets comme des âmes raffinées. Les miroirs, les métaux, les étoffes, l’orfévrerie et la faïence y jouent pour les yeux une symphonie muette et mystérieuse ; et de toutes choses, de tous les coins, des fissures des tiroirs et des plis des étoffes s’échappe un parfum singulier, un revenez-y de Sumatra, qui est comme l’âme de l’appartement.

Un vrai pays de Cocagne, te dis-je, où tout est riche, propre et luisant, comme une belle conscience, comme une magnifique batterie de cuisine, comme une splendide orfévrerie, comme une bijouterie bariolée ! Les trésors du monde y affluent, comme dans la maison d’un homme laborieux et qui a bien mérité du monde entier. Pays singulier, supérieur aux autres, comme l’Art l’est à la Nature, où celle-ci est réformée par le rêve, où elle est corrigée, embellie, refondue.

Qu’ils cherchent, qu’ils cherchent encore, qu’ils reculent sans cesse les limites de leur bonheur, ces alchimistes de l’horticulture ! Qu’ils proposent des prix de soixante et de cent mille florins pour qui résoudra leurs ambitieux problèmes ! Moi, j’ai trouvé ma tulipe noire et mon dahlia bleu !

Fleur incomparable, tulipe retrouvée, allégorique dahlia, c’est là, n’est-ce pas, dans ce beau pays si calme et si rêveur, qu’il faudrait aller vivre et fleurir ? Ne serais-tu pas encadrée dans ton analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les mystiques, dans ta propre correspondance ?

Des rêves ! toujours des rêves ! et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium naturel, incessamment sécrétée et renouvelée, et, de la naissance à la mort, combien comptons-nous d’heures remplies par la jouissance positive, par l’action réussie et décidée ? Vivrons-nous jamais, passerons-nous jamais dans ce tableau qu’a peint mon esprit, ce tableau qui te ressemble ?

Ces trésors, ces meubles, ce luxe, cet ordre, ces parfums, ces fleurs miraculeuses, c’est toi. C’est encore toi, ces grands fleuves et ces canaux tranquilles. Ces énormes navires qu’ils charrient, tout chargés de richesses, et d’où montent les chants monotones de la manœuvre, ce sont mes pensées qui dorment ou qui roulent sur ton sein. Tu les conduis doucement vers la mer qui est l’Infini, tout en réfléchissant les profondeurs du ciel dans la limpidité de ta belle âme ; — et quand, fatigués par la houle et gorgés des produits de l’Orient, ils rentrent au port natal, ce sont encore mes pensées enrichies qui reviennent de l’infini vers toi.

 

Die Einladung zur Reise

Es gibt ein Wunderland, da fließen, sagt man, Milch und Honig, das will ich gern besuchen mit einer Freundin aus vergangenen Tagen. Einzigartiges Land, gehüllt in unsre nordischen Nebel, könnte man es den Orient des Okzidents nennen, Europas China, so weit erging sich hier die heiße und launenhafte Phantasie, so weit hat sie es geduldig und beharrlich ausgemalt mit ihren kunstvollen und zierlichen Blumen.

Ein wahres Paradies, wo alles Schönheit ist, Reichtum, Ruhe, Würde; wo die Fülle sich gern im Spiegel der Ordnung betrachtet; wo Leben satten, weichen Atem hat; wo ferne wohnen Chaos, Wirrwarr, Unbedachtes; wo das Glück die Braut des Schweigens ist; wo selbst die Küche dichtet, üppig und anregend zugleich; wo dir, mein teurer Engel, alles gleicht.

Du kennst das Fieber, das uns im kalten Elend überfällt, jenes Heimweh nach dem unbekannten Land, jenen Alb, der dorthin äugt? Es ist das Land, das dir so ähnelt, wo alles Schönheit ist, Reichtum, Ruhe, Würde, wo die Phantasie ein abendländisches China erbaut und ausgeschmückt hat, wo das Leben süßen Atem hat, wo das Glück die Braut des Schweigens ist. Dorthin muß man gehen, um zu leben, dorthin, um zu sterben!

Ja, dorthin muß man gehen, um zu atmen, zu träumen und die Stunden auszudehnen in die grenzenlose Weite des Empfindens. Ein Komponist schrieb die Einladung zum Walzer; wer komponiert die Einladung zur Reise, die man seiner Geliebten schenken könnte, der Schwester des Herzens?

Ja, in dieser Luft wär es gut zu leben; dort, wo die säumenderen Stunden gedankenvoller sind, dort, wo des Glückes Stunden voller schlagen, feierlicher.

Auf schimmernden Paneelen oder vergoldetem Leder von düsterer Fülle sind heimlich Bilder lebendig, selig, still und tief, gleich den Seelen der Künstler, die sie schufen. Die untergehenden Sonnen, die so verschwenderisch den Speisesaal oder den Salon in Farben tauchen, werden von feinen Stoffen gedämpft oder von jenen hohen, kunstvollen Fenstern, die ein reiches Gitterwerk aus Blei durchbricht. Die Möbel sind ausladend, seltsam, wunderlich, mit Schlössern versehen und geheimen Fächern, wie es die Seelen sind. Die Spiegel, die Metalle, die Tücher, Goldschmiedearbeiten und Fayencen spielen eine stumme und geheimnisvolle Symphonie für die Augen; und aus allem, den Winkeln und Spalten, den Fächern und Falten der Kissen steigt ein sonderbarer Duft, ein Komm bald wieder aus Sumatra, gleichsam die Seele des Hauses.

Ein wahres Paradies, sage ich dir, wo alles reich ist, sauber und glänzend, wie ein gutes Gewissen, wie eine prächtige Speisekammer, wie funkelnde Goldschmiedekunst, wie bunte Juwelen! Hier münden die Schätze der Welt, wie im Hause eines arbeitsamen Mannes, der sich in aller Welt Verdienste erwarb. Einzigartiges Land, allen anderen überlegen, wie die Kunst der Natur, wo diese verwandelt ward vom Traum, ins Rechte gerückt, verschönt, umgeschmolzen.

Wie sie suchen und immer weiter suchen, wie sie die Grenzen ihres Glückes unaufhörlich zurückstecken, diese Gärtner-Alchemisten! Wie sie Preise von hundertsechzigtausend Gulden ausschreiben, wenn nur einer ihre hochfliegenden Versuche wahrmacht! Ich habe sie, habe sie gefunden, meine schwarze Tulpe, meine blaue Dahlie!

Blume ohnegleichen, wiedergefundene Tulpe, allegorische Dahlie, man muß, nicht wahr, in dies schöne Land gehen, so voller Ruhe, voller Traum, um zu leben, um zu blühen. Würdest du nicht in dein eigenes Bildnis gerahmt, könntest du nicht, um mit den Mystikern zu sprechen, in dein Spiegelbild tauchen?

Träume, immer nur Träume! Und je höher die Seele fliegt, je zartsinniger sie ist, umso ungreifbarer ihr Traum. Ein jeder hat seine Dosis Opium im Blut, immer wieder abgesondert, immer wieder aufgefrischt. Und von der Wiege bis zum Grab, wie viele Stunden wahrer Wonne, leicht erlangt, beherzt gepflückt, zählen wir? Werden wir jemals leben, jemals in dies Bildnis Einzug halten, das mein Geist gemalt, dieses Bild, das dir so ähnelt?

Diese Schätze, diese Möbel, dieser Luxus, diese Ordnung, diese Düfte, diese Wunderblumen, das bist du. Und auch dies, die großen Ströme, die stillen Grachten. Diese ungeheuren Kähne voller Fracht an Kostbarkeiten, von denen während der Manöver eintönige Lieder schallen, meine Gedanken sind es ja, die schlummern oder sich auf deinem Schoße wiegen. Du trägst sie sanft zum Meere hin, zur Unendlichkeit, und die Tiefen des Himmels spiegeln sich im reinen Kristall deiner Seele. – Und wenn sie, ermüdet vom Schaukeln und gesättigt an den Früchten des Orients, in den Heimathafen einlaufen, so sind es noch immer meine Gedanken, die, mit reicher Ernte, aus dem Unendlichen zu dir nach Hause kommen.

 

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